On dit généralement qu'il faut séparer les pouvoirs pour éviter la tyrannie. Cette idée se trouve déjà dans Les Politiques d'Aristote, et plus tard elle sera reprise par exemple par Montesquieu. Mais la séparation des pouvoirs peut aussi impliquer des conflits irrémédiables entre ces différents pouvoirs, c'est pourquoi Hobbes a défendu une théorie de la souveraineté dans son ouvrage Le Léviathan, qui s'oppose à l'idée d'une stricte séparation des pouvoirs. La question est alors la suivante : peut-on construire une théorie de la souveraineté qui ne courant pas le risque de la tyrannie ? Rousseau, dans Du contrat social, a proposé une conception de la souveraineté populaire qui poursuit cet objectif. Mais il tombe peut-être sous le coup de l'objection dite de la "tyrannie de la majorité". C'est pourquoi nous nous tournons ici vers John Locke, qui a construit une solution différente dans son Traité du gouvernement civil, qu'on appelle parfois le "constitutionalisme".
"§ 149. Dans un État formé, qui subsiste, et se soutient, en demeurant appuyé sur les fondements, et qui agit conformément à sa nature, c'est-à-dire, par rapport à la conservation de la société, il n'y a qu'un pouvoir suprême, qui est le pouvoir législatif, auquel tous les autres doivent être subordonnés; mais cela n'empêche pas que le pouvoir législatif ayant été confié, afin que ceux qui l'administreraient agissent pour certaines fins, le peuple ne se réserve toujours le pouvoir souverain d'abolir le gouvernement ou de le changer, lorsqu'il voit que les conducteurs, en qui il avait mis tant de confiance, agissent d'une manière contraire à ]afin pour laquelle ils avaient été revêtus d'autorité. Car tout le pouvoir qui est donné et confié en vue d'une fin, étant limité par cette fin-là, dès que cette fin vient à être négligée par les personnes qui ont reçu le pouvoir dont nous parlons, et qu'ils font des choses qui y sont directement opposées; la confiance qu'on avait mise en eux doit nécessairement cesser et l'autorité qui leur avait été remise est dévolue au peuple, qui peut la placer de nouveau où il jugera à propos, pour sa sûreté et pour son avantage. Ainsi, le peuple garde toujours le pouvoir souverain de se délivrer des entreprises de toutes sortes de personnes, même de ses législateurs, s'ils venaient à être assez fous ou assez méchants, pour former des desseins contre les libertés et les propriété des sujets. En effet, personne, ni aucune société d'hommes, ne pouvant remettre sa conservation, et conséquemment tous les moyens qui la procurent, à la volonté absolue et à la domination arbitraire de quelqu'un, quand même quelqu'un en aurait réduit d'autres à la triste condition de l'esclavage, ils seraient toujours en droit de maintenir et conserver ce dont ils n'auraient point droit de se départir; et étant entrés en société dans la vue de pouvoir mieux conserver leurs personnes, et tout ce qui leur appartient en propre, ils auraient bien raison de se délivrer de ceux qui violeraient, qui renverseraient la loi fondamentale, sacrée et inviolable, sur laquelle serait appuyée la conservation de leur vie et de leurs biens. De sorte que le peuple doit être considéré, à cet égard, comme ayant toujours le pouvoir souverain, mais non toutefois comme exerçant toujours ce pouvoir; car, il ne l'exerce pas, tandis que la forme de gouvernement qu'il a établie subsiste; c'est seulement lorsqu'elle est renversée par l'infraction des lois fondamentales sur lesquelles elle était appuyée."